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NB : Un lieu peut être un site naturel, une ville, un quartier, un musée, un bar...
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De Kashgar à Domar en passant par Yecheng, Mazar et Dongliutan
De Torugart à Kashgar
(Billet du 1er octobbre 2015) :De Torugart à Kashgar
Pour traverser la Chine en "self driving", il faut, au moins pour les deux provinces sensibles du Xinjiang et du Tibet, passer par l'intermédiaire d'une agence chinoise qui s'occupe de fournir aux impétrants programme, invitation officielle, guide et documents administratifs nécessaires.
Afin de réduire les frais (importants), il convient donc de constituer un groupe, ce que nous avons fait, par Internet, avant notre départ de France en avril. Nous avons choisi l'agence Greatway.
Notre départ, initialement prévu le 28 septembre, a été retardé d'un jour en raison de festivités interdisant momentanément l'accès à Kashgar. Le créneau de passage est étroit car, le 1er octobre, débute la semaine d'or, période traditionnelle des congés annuels, pendant laquelle les Chinois prennent leurs vacances et où les administrations fonctionnent au ralenti.
La frontière entre le Kirghizstan et la Chine est située au sommet du col de Torugart, à 3700 mètres.
Au matin, le thermomètre affiche -11° quand nous passons le poste kirghize, assez rapidement. Encore une petite grimpette et, après les derniers lacets, s'amorce la descente vers la province du Xinjiang.
Pendant une bonne demi-heure, le premier check-point chinois se présente sous la forme d'une grille obstinément close mais quand, une heure plus tard, les portes s'ouvrent, aussi inexplicablement qu'elles étaient restées fermées, nous les franchissons sans aucun contrôle et faisons la connaissance du premier guide que nous a attribué l'agence. Par "guide" il faut entendre "accompagnateur". Imposé par les autorités , il n'est pas là pour nous apporter des explications historiques ou culturelles mais pour nous piloter, faciliter nos démarches administratives et nous aider à trouver des hébergements et des bivouacs autorisés. Le nôtre est Ouïgour et s'attachera à nous le faire savoir, n’hésitant jamais à reprendre ceux qui commettraient la maladresse de confondre ses yeux non bridés et ses traits - plutôt caucasiens que mongols, d'ailleurs- avec la face asiatique d'un Han.
Après la barrière de Torugart, commence un no man's land de 100 kilomètres. Surprise : la route, entièrement refaite par les Chinois sur le versant kirghize, devient très mauvaise de leur propre côté. Comprenne qui pourra.
Au bout d'une très longue descente, on parvient au véritable poste frontière où s'effectuent les formalités complètes de douane et de police... et le paiement de quelques taxes inattendues.
On remplit un questionnaire en aveugle, on ronchonne. La routine, après bientôt six mois de route et le passage de tant de frontières. Mais nous ne sommes plus seuls ; nous serons désormais accompagnés par d'autres voix récriminatrices.
Et puisque la barrière s'ouvre, passons outre.
Est-ce enfin la Chine ?
Oui, puisqu'il faut tout à coup avancer sa montre de deux heures. C'est un peu brutal, mais toutes les provinces du pays sont officiellement à l'heure de Pékin, à 4000 kms à l'est.
Dans les faits, cette règle ne s'applique que partiellement, et tout le monde utilise couramment une heure locale, ce qui n'ira pas sans quelques malentendus.
Non car, si Xinjiang signifie en Chinois "nouvelle frontière", pour les autochtones, turcophones et musulmans, il s'agit du Turkestan oriental ; le pays connaît d'ailleurs de fortes velléités indépendantistes, qui se manifestent parfois sous la forme de sanglantes attaques terroristes.
Il n'empêche. Si les paysages sont encore un peu ceux du Kirghizstan, le contraste avec l'Asie centrale saute aux yeux. Finis les "stan" et place à l'Asie tout court. Les villages sont plus peuplés, les campagnes plus cultivées, et, signe qui ne trompe pas, les moins-de-quatre-roues sont maintenant légion. Motocyclettes, scooters électriques, triporteurs s'avancent face à Tirésias en cohortes compactes. Les feux tricolores règlent la circulation, les radars et les caméras surveillent, et les quelques yourtes qui subsistent ne sont plus que des vestiges folkloriques ou des transpositions en dur.
En soirée (mais il fait encore grand jour !) nous entrons dans Kashgar en convoi serré et tous les véhicules trouvent une place sur un parking d'hôtel. Un apéro collectif permet aux différents participants de faire connaissance. C'est l'occasion de présenter le casting complet de l'épisode 5 de la saison 2 :
1. Les fourgonistes :
- Yolanda et Sergi, catalans de Barcelone, partis pour un tour du monde au volant d'un Mercedes Sprinter.
Leur site web : www.rodarpelmon.com
- Nous deux, avec notre notre Tirésias, qui, réparé au Kazakhstan, tourne comme une horloge et grimpe allègrement les cols.
2. Les 4x4istes :
- Anthony et Céline, que nous connaissons bien depuis Bishkek, et qui ont partagé nos galères de demandes de visas chinois, sont partis de France depuis dix-huit mois et font du bénévolat pour la protection des espèces menacées. Ils nous ont aidés à plusieurs reprises pour les diverses réparations à faire sur Tirésias. Ils sont en route pour un tour du monde à durée indéterminée.
Leur blog : www.around-the-rock.com
- Denis et Pierrette, que nous avions rencontrés à Rodez avant notre départ et avec qui nous nous sommes inscrits en premier pour ce périple, sont de vieux baroudeurs, grands spécialistes du 4x4. Ils se dirigent vers le Laos, la Thaïlande, la Birmanie et l'Inde avec retour prévu en France par Oman, Iran et Turquie.
Leur blog : robinland.uniterre.com
Denis et Anthony sont deux bons mécanos. Cela pourra servir...
- Charlotte et Xavier, Français expatriés en Australie, effectuent un voyage sabbatique en Asie et en Amérique du Sud. Ils conduisent un fourgon Renault jaune 4x4, ex camion-ambulance militaire très haut sur pattes. Un point de repère appréciable dans le trafic de Kashgar...
Leur blog : https://chachaxavieraroundtheworld.wordpress.com/
- Raymond et Lucie, alertes septuagénaires suisses, ont déjà parcouru le monde entier. Ils ont tout vu et tout connu et aiment avant tout rouler. Ils conduisent un 4x4 de type urbain. Particularité : Toujours à l'avant garde et jamais fatigués, ils ont à peine le temps de s'arrêter pour pique-niquer ou dormir.
3.Les motos :
Damien, Lucas, Annya et Macief, quatre motards polonais qui vivent aux Pays Bas, en Norvège et en Californie, se sont inscrits au tout dernier moment. Ils sont partis pour un long voyage vers l'Asie du sud-est
Leurs pages :
Comme Raymond et Lucie, ils doivent trouver un hébergement quotidien, ce qui conditionnera sans doute un peu la vie du groupe.
Séjour à Kashgar
Ce premier jour au Xinjiang a été entièrement consacré aux formalités d'entrée des véhicules.
Tous les voyageurs en "sef driving" doivent obtenir une plaque d'immatriculation et un permis de conduire provisoires, et se présenter au contrôle technique. Nous voici donc à 8 heures du matin sur un parking de banlieue au milieu de centaines de voitures attendant leur tour.
Commence alors une attente d'un ennui mortel, qui durera jusqu'au soir.
Encore sommes-nous privilégiés, car notre guide s'efforce d'accélérer les choses et nous fait passer en priorité, devant les automobilistes locaux.
Pas rancuniers, et curieux de voir nos engins de plus près, ceux-ci viennent à notre rencontre. Dans les bribes de dialogue engagées par logiciel de traduction interposé, nous comprenons qu'ils patientent là depuis plusieurs jours. Parfois, expliquent-ils, cela peut durer plus d'une semaine, car, dans cette ville de 500.000 habitants, il n'existe qu'un seul centre. Tous prennent donc sur leur temps libre pour effectuer cette corvée, et, comme la semaine d'or commence demain, l'affluence est encore plus importante.
A cause de cette journée perdue, il ne nous reste qu' une matinée pour visiter la ville, qui aurait mérité qu'on y reste un peu plus longtemps.
Située sur le versant est des Monts Célestes, l'oasis de Kashgar était une des dernières étapes des caravanes, avant le point d'arrivée de Xian. Elle se situe à la croisée de plusieurs itinéraires.
La silk road traverse le désert du Taklamakan d'est en ouest ; vers le nord-est, la route remonte vers Urumshi et la Mongolie ; vers le sud-ouest, la mythique "Karakoroum way" file vers les Indes via le col de Khunjerab, tandis qu'au sud-est, une autre grimpe vers le plateau tibétain. C'est cette dernière, la G 219, que nous allons suivre pendant le mois qui vient.
Depuis les invasions turco-mongoles, le Xinjiang est musulman, mais, au début de notre ère, la rencontre de l'hellénisme et du bouddhisme avait produit ici un art original : celui de la Serinde, dont il ne subsiste malheureusement que peu de vestiges. Pour en voir davantage, il faudrait pousser plus à l'est, vers Kucha et Urumchi, et ce n'est pas notre route cette année.
La mosquée Id Kah est la plus grande de Chine. Édifiée au XV° siècle, elle se présente sous la forme d'un vaste jardin, fermé par le bâtiment dédié à la prière. Très largement ouvert sur toute la largeur de la cour, celui-ci est soutenu par une longue série de piliers de bois de couleur verte. L'accès des "infidèles" est autorisé, moyennant un droit d'entrée symbolique. Peu de monde à l'intérieur. L'atmosphère est paisible et sereine.
A l'extérieur, par contre, la présence chinoise est pesante et on ne sait ce qui le plus gênant, de ces foules de touristes han, qui se font massivement et bruyamment photographier devant la mosquée ou de ces policiers anti émeutes postés, bien visibles et lourdement armés, sur les côtés de l'esplanade.
Plus loin, sur la très vaste place du peuple, trône une grande statue de Mao. Un écran géant diffuse des images de propagande. On y voit les bienfaits de la modernisation-reconstruction de la ville, on rappelle les secours apportés aux populations lors des dernières catastrophes naturelles etc.
A l'opposé de l'écran, les dates 1955-2015 évoquent le 60ème anniversaire de la "grande modernisation du Xinjiang". Cette année-là vit en effet des milliers de volontaires, guidés par la pensée du grand timonier, se lancer dans des travaux d'irrigation et d'urbanisation du désert qui modifièrent profondément les villes et les campagnes ouïgours. Ce développement marquait aussi le début d'une sinisation qui se poursuit et s'accélère, au bénéfice matériel de la population, mais au détriment de sa culture et de son identité. Du reste, l'aspect de Kashgar est aujourd'hui avant tout celui d'une ville chinoise, avec ses larges avenues, ses quartiers modernes et ses flots de scooters électriques.
Dans la "old city", la partie conservée (ou plutôt reconstituée, après démolition et reconstruction à l'identique), est largement folklorisée et vouée au commerce touristique.
Il reste, derrière la place du peuple, quelques quartiers plus "authentiques" dans lesquels nous prenons plaisir à faire quelques emplettes et à flâner entre les échoppes d'artisans et les petits commerces, mais les bulldozers ne sont pas très loin.
D'ailleurs, dépêchons-nous, car le groupe nous attend pour partir au Tibet.
De Yecheng à Domar : arrivée au Tibet
(Billet du 4 octobre 2015) :De Kachgar à Yecheng (Karghilik)
Nous quittons Kashgar en début d'après-midi avec notre nouveau guide, un Tibétain prénommé Dhargye.
La première étape nous conduit à Karghilik, ville de garnison de peu d'intérêt. Pour l'atteindre, nous traversons la partie sud-ouest du Taklamakan. Ce désert, dernière difficulté sur la route de la soie, a la particularité d'être situé le plus loin possible de tout océan, le PEI (Point Extrème d'Inaccessibilité) étant situé peu au nord d'Urumqi.
Nous filons plein sud, sur la G 219. La route est très bonne mais une brume de sable réduit fortement la visibilité. On devine le ciel bleu, pas très loin au dessus de nos têtes ; il nous faudra attendre les premiers cols pour le retrouver. Dunes de sables, falaises : le paysage et le relief méritent quelques arrêts photos. La faune est, paraît-il, très variée, comme nous le diront à l'arrivée, Anthony et Céline, experts en découvertes animalières. Les ignares que nous sommes se contentent de chameaux (à deux bosses, tout de même !) que nous ne pouvions pas manquer et qui viennent prendre des poses orgueilleuses devant nos objectifs.
A l'étape, tous les véhicules sont garés sur le parking d'un hôtel plutôt moche dans un faubourg triste.
Où est la ville ?
Les questions pleuvent sur Dhargye :
"- Pourquoi ne pas chercher un hébergement plus près du centre ?
- Parce que peu d'hôtels sont autorisés aux étrangers.
- Mais nous ne sommes pas vraiment à l'hôtel, seulement sur un parking.
- Oui, mais c'est le parking de l'hôtel.
- Alors pourquoi ne pas chercher un bivouac libre, à la campagne ou sur un parking plus central ?
- Parce que nous devons rester groupés et que le guide ainsi que plusieurs participants, ne pouvant dormir dans leurs véhicules, doivent prendre une chambre tous les soirs."
Il faudra nous y faire. Pendant plus d'un mois, jusqu'à notre sortie du Tibet, nous bivouaquerons sur des parkings d'hôtel.
De Karghilik à Mazar :
Le départ est prévu à 9 heures. La veille, Dhargye a pris tous nos passeports pour effectuer les formalités d'entrée au Tibet au poste de police local. Il est en retard. En l'attendant, on tue le temps comme on peut. Les mécanos s'activent sur leurs véhicules, d'autres font du rangement, Lucile et Céline dansent sur le parking, mais la matinée se passe et Dhargye ne revient pas.
Sans trop oser le dire, depuis le départ du Kirghizstan, quelques-uns d'entre nous partagent une petite crainte.
Yecheng se trouve au carrefour de deux nationales. Aurons-nous bien l'autorisation de prendre la G 219, prévue dans le programme ? Cette route, certes moins mythique que celle du Karakorum pakistanais, mais d'une altitude moyenne plus élevée, a été construite dans les années cinquante. Longtemps réputée dangereuse, elle est désormais presque entièrement asphaltée et accessible à des véhicules ordinaires. C'est l'occasion pour nous de faire un parcours original et de traverser les paysages peu connus de l'Ouest tibétain.
Mais ne risquons-nous pas d'être déroutés très à l'est pour prendre la route G 315, plus longue et moins exaltante, comme cela est déjà arrivé à d'autres voyageurs, en raison d'une subite décision administrative ou politique, de la situation du moment au Tibet, de possibles tensions internationales etc.
Plus le temps passe, plus l'inquiétude monte.
Peu avant midi, notre guide revient enfin et nous rassure. S'il a tant tardé, c'est que tous les services étaient fermés à cause des congés de la semaine d'or.
Mais il su a su y faire, tout est en règle et nous pouvons partir.
En route ! La G 219, nous allons la suivre pendant un sacré bout de temps !
La panne
Gonflés d'allégresse, nous roulons, plein gaz, sur ce qui reste de désert. Nous avons hâte d'en sortir, de gagner les montagnes et de sortir de ce brouillard sableux qui nous bouche l'horizon.
Nous rencontrons nos premiers check-points. La route commence à monter. Bientôt le ciel bleu. Nous passons un premier col, le Kudi Daban , à 3240 mètres.
Et voilà que, de l'autre côté de la passe, un léger grésillement se fait entendre sous le capot.
- C'est bizarre !
Puis le bruit se fait plus fort.
- Merde, on dirait... on ne va quand même pas...
Et si ! Tout à coup, le voyant fatidique, éteint depuis Almaty, se rallume, avec son alarme significative, et le moteur se met en sécurité. Nous venons de reproduire la panne que nous avions connue au Tadjikistan.
Cette fois-ci, nous savons d'où elle provient. Mais saurons-nous pour autant y remédier ?
Anthony et Denis se portent à notre secours. Si nous pouvons rouler, nous essaierons de réparer à Mazar.
En attendant, il faut continuer.
Il nous reste le col de Chiragsali.
Nous le franchissons au ralenti, mais sans problème, et redescendons sur Mazar.
Mazar (ou Mazha) (3700 m)
Il n'y a rien à Mazar. C'est un point sur la carte, mais ce n'est même pas un village. On y trouve juste quelques baraques en bord de route, dont l'une sert de guesthouse. Cette pauvre cabane ne comporte qu'une petite chambre, dans laquelle devront se serrer les quatre motards et le couple suisse. On peut néanmoins y faire une toilette sommaire, y manger chaud et y boire du thé.
C'est la seule halte entre Yecheng et Dongliutan, 350 kms plus loin. Au sud-ouest, le Karakorum pakistanais n'est pas loin, derrière le mythique K2, tout proche, mais que nous voyons pas. Les fourgons et les 4x4 se garent un peu en contrebas de la route, dans une sorte de terrain vague, non loin d'un camp militaire qui doit marquer le début de la zone frontalière.
Anthony et Denis revêtent leur salopette de mécano et se penchent sur le moteur de Tirésias. Malheureusement, je comprends vite que, malgré toute leur science et leur bonne volonté, nos deux as de la mécanique ne pourront rien faire pour nous. Le moteur du Fiat Ducato est si compact qu'on ne voit même pas le turbo. Nous avons beau nous contorsionner, placer un miroir pour essayer d'apercevoir ou de palper les parties de son anatomie qu'il dissimule pudiquement, rien n'y fait. Il est probable que la pièce posée par Stas à Almaty n'a pas tenu, mais pour colmater à nouveau la fuite, il faudrait démonter l'EGR et peut-être davantage. Pas question de se lancer dans ce type de réparation hasardeuse sans outillage approprié et à des centaines de kilomètres de tout garage - et même de remorquage- équipé.
Nous ne pouvons pas faire demi-tour et n'avons d'autre choix que de continuer, en espérant trouver un atelier correctement équipé, probablement pas avant Lhassa. D'ici là, nous devrons avaler des dizaines de cols, dont une douzaine à plus de 5000 mètres, sur plus de 3000 kilomètres. Denis nous rassure. Si Tirésias garde suffisamment de puissance pour les franchir, comme nous l'avons fait pour le Chiragsali, le moteur tiendra et nous pourrons rouler sans l'abimer.
Nous serons fixés dès demain, avec plusieurs passes à plus de 5000 mètres.
Décision est prise de continuer. Mais est-ce vraiment une décision ? Avions-nous une autre solution ?
Hongliutan (Dongliutan) (4200 mètres)
De Mazar à Dongliutan, on parcourt 300 kilomètres. La G 219 tire maintenant résolument vers l'est. Elle est toujours excellente et traverse des immensités complètement désolées. Pas âme qui vive, pas un troupeau, pas un lopin de terre cultivable et, bien sûr, aucun village.
Pour tester le comportement de Tirésias, nous voilà servis. Le premier col, comme un clin d’œil à l'épisode 4, s'appelle le Kirgizjangal, à 4930 mètres.
On redescend alors de plus de 1000 mètres. pour remonter, via le col de Koshbel, jusqu’à 4200 mètres.
Et nous voici sur le plateau tibétain, même si la frontière officielle se situe plus loin. Nous longeons le cours d'une rivière. A la couleur turquoise des eaux, répond celle du rail de sécurité. Est-ce intentionnel ? En tous cas, c'est remarquable.
Notre bivouac est à Hongliutan, dont les habitations s'étirent sur environ 200 mètres le long de la route. C'est un tout petit peu plus grand que Mazar, avec une centaine d'habitants, qui vivotent d'activités liées au transit des rares véhicules : deux ou trois boutiques d'alimentation, une ou deux guesthouses, une station service.
Comme à Mazar, les motards et les Suisses prennent des chambres, tandis que les fourgons, après négociation du prix du parking, s'installent derrière le bâtiment. Décidément, pour les bivouacs de rêve, c'est mal parti.
Le soir, tout le monde se retrouve dans la salle de "restaurant" pour une soirée sympathique et les premières vraies photos de groupe.
De retour au camion, difficile de trouver le sommeil. De l'avis général, la cote 4000 constitue un premier palier à partir duquel le mal des montagnes peut se faire sentir. Pour moi, il se traduit par un mal de tête, léger mais permanent, et une grande difficulté à m'endormir.
Il faudra surveiller la venue de symptômes plus inquiétants, tels que nausée, et surtout petite toux annonciatrice de l'effrayant œdème pulmonaire.
En cas de MAM (mal aigu des montagnes), la prescription médicale consiste à prendre un traitement approprié, le Diamox, mais si la crise est sévère, il n'est d'autre solution que de redescendre ne serait-ce que de 500 mètres. Tout cela est bien beau, mais comment fait-on pour redescendre quand on est sur le plateau tibétain, dont l'altitude moyenne est toujours au dessus de 4000 mètres ?
Au lieu de gamberger, mieux vaut employer utilement son temps d'insomnie. J'étudie sur Open Street Map le relief de la journée du lendemain. C'est probablement l'étape la plus difficile, avec plusieurs cols à 5000 mètres et, surtout, le Jieshan Daban, le plus haut de tout le voyage, à plus de 5300 mètres, bien plus haut que le Mont Blanc, et même plus haut que le camp de base de l'Everest. Comment Tirésias va-t-il se comporter ? Je me rassure en me disant que nous sommes déjà à plus de 4000 et que le dénivelé n'est finalement pas si important que cela.
Cela devrait bien se passer... s'il ne neige pas.
Arrivée au Tibet : "Tashi delek !"
Il a neigé, bien sûr. Oh! pas beaucoup, mais assez pour nous inquiéter, et prolonger ce sentiment de poisse.
Jusque là, la journée s'était pourtant bien passée. Plusieurs cols franchis à peine moins vite que le Mercedes Sprinter de Yolanda et Sergi et le Franz de Charlotte et Xavier.
Nous avons adopté un mode de conduite peu orthodoxe mais qui nous permet d'avancer en nous efforçant de ne pas dépasser les 2000 tours au compteur. Si nous outrepassons ce droit que nous accorde la technologie de Fiat, le moteur se met en sécurité et on n'avance plus qu'au ralenti. Il faut alors couper le contact et redémarrer.
Sur le plat et en descente, même en sous-régime, cette technique nous permet d'atteindre une vitesse raisonnable et, même, parfois, de rattraper et dépasser nos compagnons de voyage. En montée, c'est une autre histoire et, quand le dénivelé devient trop important, nous ne dépassons pas les 5 kms/h.
Dans les premiers cols, à 5150 et 5180 mètres, nous nous débrouillons assez bien.
Nous atteignons la passe qui marque le point d'entrée officiel au Tibet, dans le xian de Rutog. Notre guide a prévu une petite cérémonie. A chacun de nous, il remet une écharpe blanche.
Il s'agit du Katagh, étoffe traditionnelle de soie ou de coton dont la signification peut être profane ou religieuse, selon les circonstances.
Aujourd'hui, c'est pour nous souhaiter la bienvenue dans son pays que Dhargye la place autour de notre cou, sans affectation, mais non sans solennité. Nous sommes loin du folklore de la remise d'un collier de fleurs tahitien ou d'une ambiance de type "Club Méd". Nous entrons au Tibet et, même si l'atmosphère est joyeuse et détendue, l'importance de ce geste identitaire n'échappe à personne.
Chaque membre du groupe conservera pieusement son étole pendant tout le parcours, et même au delà. Certain(e)s la garderont sur eux, d'autres la placeront en évidence sur le pare-brise, et les plus prudents, discrètement, dans l'habitacle.
La zone contestée de l'Aksai Chin
Maintenant que nous sommes au Tibet, les check-points, policiers et militaires, déjà nombreux depuis Yecheng, vont se faire de plus en plus pesants. Dès la descente du col, nous rencontrons celui qui marque l'entrée d'une région très particulière.
La G 219 traverse ici, sur un peu plus de 100 kilomètres, une partie du Cachemire qui est revendiquée à la fois par l'Inde et la Chine. Si, pour Pékin, c'est l'Aksai Chin, pour les Indiens, c'est la partie la plus orientale et septentrionale du Ladakh. Pendant des siècles, ce territoire semi-désertique, à peine parcouru en été par quelques nomades, était un des plus isolés et inhospitaliers du monde, au point que - chose incroyable à notre époque où rien n'échappe à l’œil des satellites - le gouvernement indien ne s'aperçut de rien pendant toute la durée des travaux de construction de la route et ne découvrit le pot aux roses que quand la presse chinoise annonça triomphalement son inauguration en 1957. S'ensuivit une période de tension diplomatique et d’escalade verbale qui déboucha, en 1962, sur un conflit armé. Depuis cette guerre sans vainqueur ni vaincu, un statu quo semble s'être installé. La région, quoique toujours revendiquée par l'Inde, reste administrée par la Chine qui l'a déclarée zone naturelle. C'est cet espace frontalier, que les traités internationaux ne situent ni au Tibet, ni en Chine, que nous devons maintenant traverser.
Au poste militaire, nous recevons des consignes très précises : une "speed limite" inversée, c'est à dire une durée maximum d'une heure trente pour traverser la zone, interdiction de prendre des photos et même de s'arrêter.
Pas le moment de tomber en panne, Tirésias !
Tout se passe bien.
La route est en parfait état et le relief peu accidenté. Passé le petit col de Jitai Daban, à 5100 mètres, nous roulons sur un très haut plateau sans rencontrer aucun véhicule, pas même un camion de l'armée.
A l'autre extrémité de l'Aksai Chin, un autre check-point vérifie à nouveau tous nos passeports, permis de conduire et plaques d'immatriculation. C'est Dhargye qui s'occupe de tout. Nous avons maintenant l'habitude de nous en remettre à lui. Il rassemble tous les documents nécessaires et ne nous appelle que si nous devons parfois nous présenter physiquement devant l'officier de service.
Le col du Jieshan Daban et l'arrivée à Domar
Avant d'arriver à Domar, il ne reste plus que le fameux Jieshan Daban, annoncé comme le plus "terrible" de tous les cols de l'ouest tibétain.
Nous avons bien cru ne pas parvenir au sommet. Dans les derniers lacets, au problème EGR-Turbo s'ajoute le manque d'oxygène. Tirésias n'avance plus que par soubresauts et je m'attends à caler à tout moment. Il n'y a rien d'autre à faire que croiser les doigts et regarder les chiffres qui montent, trop lentement, sur l'altimètre: 5200, 5250, 5300, 5350....
Pour corser un peu le jeu, il se met à neiger. Les quelques flocons des premières minutes deviennent de plus en plus épais, effaçant les traces de ceux qui nous ont précédés.
Au sommet à 5380 mètres, nous prenons une photo rapide et nous remontons vite dans le fourgon. Ça caille vraiment ! Nous redescendons de près de 1000 mètres vers le plateau. Très vite, la neige cesse de tomber, le moteur retrouve du souffle.
Domar est un poste militaire et un relais routier, à peine plus important que Mazar et guère plus engageant que Hongliutan. Nous sommes encore à 4400 mètres, mais nous avons l'impression d'arriver dans la plaine !
Nos compagnons nous attendent au bivouac, il s'agit, comme d'habitude, de la cour de la guesthouse.
En principe, le plus dur est fait et nous sommes enfin sur le plateau tibétain. Si le Jieshan Daban n'a pas été son chant du cygne et l'Aksaï Chin son champ du signe indien, nous allons peut-être arriver à sortir Tirésias de Chine. C'est notre première nuit à 4400 mètres et il fait très froid.
Alors réchauffons nous autour du poêle et de quelques verres.s.