Périégèses

(tours de mondes) Saison 2

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Périégèses : Saison 2, épisode 3 : TURKMÉNISTAN
(Ashkabat, Désert de Karakoum, Darvaza, Kounia Ourgench)

Catégorie voyage Ashkabat : Circulez, y a rien à voir.

(Billet du 25/06/2015) :

Il y a des villes qui font chaud au cœur et d'autres froid dans le dos. Ashkabat est à ranger dans le deuxième groupe.
Quand on arrive d'Iran, après les interminables formalités de douane, on plonge directement, après une vingtaine de kilomètres de descente du petit col frontalier, dans la capitale de cette ex-République soviétique nommée Turkmenistan.
Certains comparent Ashkabat à Las Vegas ou Dubaï, d'autres à Disneyland, d'autres encore à Pyong Yang. C'est tout cela, en pire. Tout le centre est constitué de longues avenues bordées d'édifices de marbre, et peu à peu, entre les réverbères dorés et les fontaines illuminées, l'étonnement fait place à l'effroi.
Où sommes-nous ?

On peut faire de belles choses avec le marbre : l'Hermès de Praxitèle, la Piétà de Michel Ange, le Taj Mahal, et même des poèmes : "Je suis belle ô mortels ! comme un rêve de pierre ".
Ashkabat est au contraire un cauchemar de pierre, sorti tout droit des nuits blanches des dictateurs paranoïaques qui dirigent le pays depuis la fin de l'URSS.

Le premier, ancien secrétaire général du parti communiste, s'était rebaptisé "turkmenbachi" (guide, duce, führer, caudillo... des Turkmènes) et a donné son nom, entre autres, à un port, un quartier, un mois du calendrier, une fête, et ... un melon. Il a fait de même avec le surnom de sa maman. La lecture de son oeuvre littéraire était obligatoire à tous les niveaux de l'enseignement et jusque dans les mosquées. Sa statue tournait sur elle-même pour suivre le soleil, et son Rukhnama (livre de l'âme), confié aux bons soins d'une fusée russe, a été placé en orbite autour de la Terre.
Nommé président à vie, ce tout puissant échoua cependant à promulguer son immortalité. A sa mort, son premier ministre a pris sa place et s'est empressé de remplacer les aspects les plus voyants du culte de la personnalité de son ancien maître... par les siens. C'est donc le portrait de Gurbanguly Berdimuhamedow (qui n'a pas encore changé de nom, grrr !..) que le visiteur découvre aujourd'hui. Habillé en homme d'affaire ou en professeur, en tenue de président ou de général, mais jamais dans sa blouse de dentiste, sa profession d'origine, il est partout : affiches dans les rues, posters dans les magasins et les bureaux, fond d'écran des ordinateurs...
Ce nouveau chef poursuit la folie urbanistique de son prédécesseur.
La plupart des immeubles semblent pourtant vides et il y a peu d'activité aux alentours. Aucune importance, car le marbre est à Ashkabat un instrument de propagande. Peu importe, en ce cas, si la plus grande partie des revenus du gaz et du pétrole sont dépensés dans la construction de bureaux et logements qui ne pourront jamais être occupés, au détriment du développement du reste du pays.

La raison grecque avait inscrit dans le marbre du Pentélique les fondements de la démocratie.
On dirait qu'ici la pierre a pour fonction de graver dans l'esprit de celui qui la regarde les lois marmoréennes du pouvoir et de l'oppression.

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Voilà pour les maîtres d'ouvrage, mais quid du maître d’œuvre ?
Le sait-on ? Notre ambassadeur de France à Ashkabat se nomme ... Martin Bouygues.
C'est lui qui, pour quelques milliards d'euros, a réalisé nombre des édifices commandés.
Depuis la crise de 2008, il a même fait de la capitale du Turkmenistan une sorte de "hub", en y installant beaucoup de ses cadres. Selon un rapport des services américains publié par Wikileaks(1), son entreprise dispose ici d'une "ambassade séparée" aux moyens et aux ressources humaines bien plus importants que notre représentation officielle.
Quant à la raison de ce statut privilégié, on lit dans le même rapport :
"On est obligé de se demander pourquoi autant d'argent est dépensé dans la construction, d'autant que de nombreux immeubles demeurent largement inoccupés, De grosses sommes d'argent doivent tomber au travers des échafaudages des projets de construction dans toute la ville." (1)

Évidemment, Bouygues n'est pas un esthète. A y regarder de plus près, toutes les carcasses d'immeubles sont en béton. Seules les façades sont revêtues de marbre.
Quelle déception ! Comme les bijoux de pacotille, Ashkabat ne serait qu' une capitale en plaqué marbre ?
Nous avons essayé de la "visiter", mais, sans guide, la mission est impossible.
En pratique, on ne peut circuler qu'en automobile et il n'existe aucune possibilité de parking en dehors des stationnements réservés. On roule, on s'arrête au feu rouge, on redémarre, en cherchant l'endroit où l'on pourrait bien s'arrêter. Si l'on parvient à se garer, on ne peut s'approcher d'aucun bâtiment officiel. Tout semble interdit.
Dans les rues, il n'y a que deux sortes de piétons : les flics et les balayeuses.
Les premiers sont omniprésents. A chaque carrefour, ils opèrent par deux, trois ou quatre. Dans son champ de vision, on en a toujours un. Et ils ne chôment pas ! Sans cesse, ils arrêtent les voitures, d'un geste négligent de leur bâton. A ce commandement presque imperceptible, les véhicules stoppent immédiatement. Par la vitre du conducteur, on voit alors sortir, non pas une carte grise ou un permis de conduire, mais une liasse de documents que le pandore se met à éplucher soigneusement. Après quoi, le suspect relâché, il peut passer au contrôle suivant.
Les ouvrières du bitume, elles, sont solitaires. Leurs longues silhouettes, fragiles, aussi souples que le balai de crin qui prolonge leurs bras, traquent le moindre grain de sable qui pourrait salir l'asphalte. En robe longue, le visage masqué pour ne pas avaler la poussière, elles travaillent directement sur les voies, exposées au danger permanent de la circulation, sans jamais lever la tête.

A part elles, il n'y a pas âme qui vive.
Mais Ashkabat n'a pas d'âme.
Et Ashkabat ne vit pas.
Son nom signifiait autrefois "ville de l'amour".
C'est aujourd'hui une ville morte et les plaques qui la revêtent sont celles d'un cimetière.

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Reconnaissons que nous avons eu quand-même quelques bons moments ici :
- La bière retrouvée dans le bar climatisé de l'hôtel Oguzkent (ex Sofitel) où nous nous sommes précipités dès notre arrivée, en compagnie de Frédérique et Aldo, couple de motards sympas avec qui nous avions partagé les heures d'attente au poste frontière.
Leur site : http://lesblogs.motomag.com/jusqu-au-bout-du-monde/
- la discussion en français avec un jeune informaticien du grand centre commercial Yimpas. Il tenait son incroyable accent africain d'un séjour d'études au Cameroun. Son meilleur souvenir d'Afrique : les pluies quotidiennes à Yaoundé.
- Le foulard islamique jeté par dessus les minarets sitôt la barrière iranienne franchie. Frédérique et Lucile n'ont pas attendu le poste turkmène, distant pourtant de 50 mètres à peine !
- Les tenues vestimentaires des Turkmènes. Les femmes portent des robes longues aux couleurs vives qui tranchent avec l'austérité iranienne et mettent en valeur leur silhouette. Mêmes les uniformes de lycéennes et des lycéens sont seyants. C'est un plaisir de les regarder passer, en cohortes ou deux par deux.
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Reconnaissons aussi que nous n'avons jamais eu maille à partir avec la police. Si les flics nous ont regardés constamment d'un œil soupçonneux, ils ne nous ont jamais contrôlés. A la vue de notre plaque européenne, le bâton nous faisait toujours un signe en forme de moulinet :
"Circulez, circulez."
D'accord, M. l'agent, circulons. De toutes façons, y a rien à voir, ici.

Michel
(1)
http://www.lemonde.fr/documents-wikileaks/article/2010/12/12/wikileaks-le-paradis-turkmene-de-bouygues_1452460_1446239.html
Voir aussi l'interview de TF1 jamais diffusée :
http://www.dailymotion.com/video/xi0uw_tf1-bouygues-et-le-turkmenistan_news

Catégorie voyage Le désert de Karakoum

(Billet du 27/06/2015) :

Nous avons eu du mal à quitter Ashkabat. C'est que l’œuvre de marmorisation massive n'est pas achevée. Des palissades (blanches...) barrent des quartiers entiers qui restent à démolir et les rues qui devraient nous conduire vers le nord butent sur des chantiers. Notre GPS en perd sa latitude et sa longitude !
Enfin, après maints tours et détours, nous trouvons la sortie. Encore quelques kilomètres d'asphalte lisse et place au vrai Turkménistan, c'est à dire au sable, à la poussière et aux nids de poule.

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Il nous reste peu de temps pour gagner l'Ouzbékistan car nous n'avons qu'un visa de transit de 5 jours et nous en avons déjà consommé deux.
Nous aurions pu passer par l'itinéraire Est, qui nous permettait de visiter les sites de Merv et Mary, sur la route de la soie et de l'expédition d'Alexandre, mais cette option nous faisait arriver directement à Boukhara. Or, nous voulons parcourir l’Ouzbékistan d'Ouest en Est, de la (défunte) mer d'Aral à la vallée de Fergana. Pour ce faire, nous devons traverser du sud au nord le désert du Karakoum, long d'environ 600 kilomètres.
Nous n'y trouverons pratiquement aucun village, seulement quelques yourtes de bergers, une station service digne de Bagdad Café, et quelques gargotes éparses. Simplement dégradée dans le premier tiers, la route, qui fut autrefois goudronnée, devient ensuite très mauvaise, puis épouvantable dans sa dernière partie. La mécanique souffre, les passagers aussi.

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Nous faisons étape à mi-chemin. Ici se trouve une curiosité : le cratère de gaz en flammes de Darvaza. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une "catastrophe écologique", car l'impact sur l'environnement est quasi nul, mais on se trouve tout de même en face d'un phénomène que l'homme a créé et ne peut plus maîtriser, ce qui est toujours inquiétant.
Lors d'un forage dans les années 70, les soviétiques ont provoqué accidentellement un effondrement dans lequel tout leur matériel a été perdu. Croyant stopper les émissions de gaz, ils ont mis le feu aux vapeurs qui s'échappaient du fond du trou... et depuis 40 ans, cela brûle encore ! Toutes les tentatives d'extinction ont échoué.
Darvaza est devenu une attraction touristique, à découvrir surtout de nuit. Nous avons fait comme tout le monde et sommes allés voir. Ce n'est pas "dantesque" comme on le dit parfois, mais cela mérite le détour. Le cratère n'est pas si large ni aussi profond que certaines photographies le laisseraient croire, mais toutes les parois sont en flammes,du fond jusqu'en haut. Le plus spectaculaire, c'est l'effet de souffle provoqué par les rafales de vent du désert qui balaient subitement les bords et renvoient des bourrasques brûlantes au visage de celui qui s'approche de trop près.
Si l'on se met à l'écart, on peut rester des heures à regarder brûler la terre, perdu dans ses pensées comme auprès d'un simple feu de cheminée. Certains plantent même la tente pour y passer la nuit.


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Kounia Urgench :

Un douanier nous avait prévenu à Howdan (poste d'entrée) : La frontière de Kounia Urgench (vers l’Ouzbékistan) est fermée depuis le 15 juin.
Pourquoi ? Jusqu'à quand ? Mystère. Toujours est-il que devons passer par le poste de Dashoguz, qui est habituellement interdit aux étrangers. Cela ne nous arrange pas, car nous voulons visiter Kounia Urgench, l'ancienne capitale du Khorezm, qui est aussi une étape sur la route de la soie. (Il faut dire que la "silk road" est un peu comme le chemin de Saint-Jacques. Si une ville d'Asie centrale ne figure pas sur une de ses ramifications, c'est qu'elle a dû le demander !)
Nous avons donc fait l'aller-retour Dashoguz-Kounia Urgench, par une route infecte.
Dans cette partie septentrionale du Turkmenistan, le Karakoum reverdit. En effet, nous approchons de l'Amou Daria,qui prend sa source sur le plateau du Pamir et se jetait autrefois dans la mer d'Aral. Les travaux d'irrigation entrepris par les Russes dès l'époque tsariste et poursuivis par les Soviétiques, ont permis la mise en culture de larges bandes de territoire et aujourd'hui, on y fait pousser des arbres fruitiers, des légumes et du coton. Mais cette mise en valeur a un prix. Le détournement des eaux de l'Amou Daria, a provoqué l'asséchement de la mer d'Aral, dont nous aurons à reparler quand nous serons sur place, dans quelques jours.

Kounia Urgench (Urgench la vieille), c'est la découverte d'une architecture différente de ce que nous avons vu en Iran. La plupart des mosquées et mausolées qui subsistent datent de la période de son apogée entre le XIème et le XIIIème siècle, avant les destructions de Tamerlan.
Le site est inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco mais il est assez peu touristique. Nous n'y avons trouvé que quelques fidèles venus se recueillir sur la tombe des différents saints qui reposent ici. Plusieurs de ces vénérables sont réputés efficaces pour guérir la stérilité. Tout au long de l'allée qui conduit de tombeau en tombeau, nous avons suivi les pas d'un couple qui accomplissait scrupuleusement tous les rites nécessaires à sa reproduction, accrochant des rubans et faisant dire des prières. Espérons que leur foi sera récompensée.
Nous avons aimé les mausolées de Nejameddin Kubra et du sultan Ali dont les portails penchés s'inclinent l'un vers l'autre avec douceur, et le minaret de Koutloug Timour, penché lui aussi, et dont la porte est située à près de 10 mètres du sol. C'est qu'on y accédait par la mosquée dont Tamerlan n'a rien laissé subsister... Mais à part le centre historique - qui n'en est pas un car les monuments sont très dispersés -, la ville nous a paru vide et abandonnée. Si le poste frontière avec l’Ouzbékistan demeure fermé en saison touristique, qui fera le même effort que nous pour venir la visiter ?

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Demain, nouveau passage de frontière. Record battu ?

Michel