Arrivée au Xinjiang
Pour traverser la Chine en "self driving", il faut, au moins pour les deux provinces sensibles du Xinjiang et du Tibet, passer par l'intermédiaire d'une agence chinoise qui s'occupe de fournir aux impétrants programme, invitation officielle, guide et documents administratifs nécessaires.
Afin de réduire les frais (importants), il convient donc de constituer un groupe, ce que nous avons fait, par Internet, avant notre départ de France en avril. Nous avons choisi l'agence Greatway.
Notre départ, initialement prévu le 28 septembre, a été retardé d'un jour en raison de festivités interdisant momentanément l'accès à Kashgar. Le créneau de passage est étroit car, le 1er octobre, débute la semaine d'or, période traditionnelle des congés annuels, pendant laquelle les Chinois prennent leurs vacances et où les administrations fonctionnent au ralenti.
La frontière entre le Kirghizstan et la Chine est située au sommet du col de Torugart, à 3700 mètres.
Au matin, le thermomètre affiche -11° quand nous passons le poste kirghize, assez rapidement. Encore une petite grimpette et, après les derniers lacets, s'amorce la descente vers la province du Xinjiang.
Pendant une bonne demi-heure, le premier check-point chinois se présente sous la forme d'une grille obstinément close mais quand, une heure plus tard, les portes s'ouvrent, aussi inexplicablement qu'elles étaient restées fermées, nous les franchissons sans aucun contrôle et faisons la connaissance du premier guide que nous a attribué l'agence. Par "guide" il faut entendre "accompagnateur". Imposé par les autorités , il n'est pas là pour nous apporter des explications historiques ou culturelles mais pour nous piloter, faciliter nos démarches administratives et nous aider à trouver des hébergements et des bivouacs autorisés. Le nôtre est Ouïgour et s'attachera à nous le faire savoir, n’hésitant jamais à reprendre ceux qui commettraient la maladresse de confondre ses yeux non bridés et ses traits - plutôt caucasiens que mongols, d'ailleurs- avec la face asiatique d'un Han.
Après la barrière de Torugart, commence un no man's land de 100 kilomètres. Surprise : la route, entièrement refaite par les Chinois sur le versant kirghize, devient très mauvaise de leur propre côté. Comprenne qui pourra.
Au bout d'une très longue descente, on parvient au véritable poste frontière où s'effectuent les formalités complètes de douane et de police... et le paiement de quelques taxes inattendues.
On remplit un questionnaire en aveugle, on ronchonne. La routine, après bientôt six mois de route et le passage de tant de frontières. Mais nous ne sommes plus seuls ; nous serons désormais accompagnés par d'autres voix récriminatrices.
Et puisque la barrière s'ouvre, passons outre.
Est-ce enfin la Chine ?
Oui, puisqu'il faut tout à coup avancer sa montre de deux heures. C'est un peu brutal, mais toutes les provinces du pays sont officiellement à l'heure de Pékin, à 4000 kms à l'est.
Dans les faits, cette règle ne s'applique que partiellement, et tout le monde utilise couramment une heure locale, ce qui n'ira pas sans quelques malentendus.
Non car, si Xinjiang signifie en Chinois "nouvelle frontière", pour les autochtones, turcophones et musulmans, il s'agit du Turkestan oriental ; le pays connaît d'ailleurs de fortes velléités indépendantistes, qui se manifestent parfois sous la forme de sanglantes attaques terroristes.
Il n'empêche. Si les paysages sont encore un peu ceux du Kirghizstan, le contraste avec l'Asie centrale saute aux yeux. Finis les "stan" et place à l'Asie tout court. Les villages sont plus peuplés, les campagnes plus cultivées, et, signe qui ne trompe pas, les moins-de-quatre-roues sont maintenant légion. Motocyclettes, scooters électriques, triporteurs s'avancent face à Tirésias en cohortes compactes. Les feux tricolores règlent la circulation, les radars et les caméras surveillent, et les quelques yourtes qui subsistent ne sont plus que des vestiges folkloriques ou des transpositions en dur.
En soirée (mais il fait encore grand jour !) nous entrons dans Kashgar en convoi serré et tous les véhicules trouvent une place sur un parking d'hôtel. Un apéro collectif permet aux différents participants de faire connaissance. C'est l'occasion de présenter le casting complet de l'épisode 5 de la saison 2 :
1. Les fourgonnistes :
- Yolanda et Sergi, catalans de Barcelone, partis pour un tour du monde au volant d'un Mercedes Sprinter.
Leur site web : www.rodarpelmon.com
- Nous deux, avec notre notre Tirésias, qui, réparé au Kazakhstan, tourne comme une horloge et grimpe allègrement les cols.
2. Les 4x4istes :
- Anthony et Céline, que nous connaissons bien depuis Bishkek, et qui ont partagé nos galères de demandes de visas chinois, sont partis de France depuis dix-huit mois et font du bénévolat pour la protection des espèces menacées. Ils nous ont aidés à plusieurs reprises pour les diverses réparations à faire sur Tirésias. Ils sont en route pour un tour du monde à durée indéterminée.
Leur blog : www.around-the-rock.com
- Denis et Pierrette, que nous avions rencontrés à Rodez avant notre départ et avec qui nous nous sommes inscrits en premier pour ce périple, sont de vieux baroudeurs, grands spécialistes du 4x4. Ils se dirigent vers le Laos, la Thaïlande, la Birmanie et l'Inde avec retour prévu en France par Oman, Iran et Turquie.
Leur blog : robinland.uniterre.com
Denis et Anthony sont deux bons mécanos. Cela pourra servir...
- Charlotte et Xavier, Français expatriés en Australie, effectuent un voyage sabbatique en Asie et en Amérique du Sud. Ils conduisent un fourgon Renault jaune 4x4, ex camion-ambulance militaire très haut sur pattes. Un point de repère appréciable dans le trafic de Kashgar...
Leur blog : https://chachaxavieraroundtheworld.wordpress.com/
- Raymond et Lucie, alertes septuagénaires suisses, ont déjà parcouru le monde entier. Ils ont tout vu et tout connu et aiment avant tout rouler. Ils conduisent un 4x4 de type urbain. Particularité : Toujours à l'avant garde et jamais fatigués, ils ont à peine le temps de s'arrêter pour pique-niquer ou dormir.
3.Les motos :
Damien, Lucas, Annya et Macief, quatre motards polonais qui vivent aux Pays Bas, en Norvège et en Californie, se sont inscrits au tout dernier moment. Ils sont partis pour un long voyage vers l'Asie du sud-est
Leurs pages :
Comme Raymond et Lucie, ils doivent trouver un hébergement quotidien, ce qui conditionnera sans doute un peu la vie du groupe.
Séjour à Kashgar
Ce premier jour au Xinjiang a été entièrement consacré aux formalités d'entrée des véhicules.
Tous les voyageurs en "sef driving" doivent obtenir une plaque d'immatriculation et un permis de conduire provisoires, et se présenter au contrôle technique. Nous voici donc à 8 heures du matin sur un parking de banlieue au milieu de centaines de voitures attendant leur tour.
Commence alors une attente d'un ennui mortel, qui durera jusqu'au soir.
Encore sommes-nous privilégiés, car notre guide s'efforce d'accélérer les choses et nous fait passer en priorité, devant les automobilistes locaux.
Pas rancuniers, et curieux de voir nos engins de plus près, ceux-ci viennent à notre rencontre. Dans les bribes de dialogue engagées par logiciel de traduction interposé, nous comprenons qu'ils patientent là depuis plusieurs jours. Parfois, expliquent-ils, cela peut durer plus d'une semaine, car, dans cette ville de 500.000 habitants, il n'existe qu'un seul centre. Tous prennent donc sur leur temps libre pour effectuer cette corvée, et, comme la semaine d'or commence demain, l'affluence est encore plus importante.
A cause de cette journée perdue, il ne nous reste qu' une matinée pour visiter la ville, qui aurait mérité qu'on y reste un peu plus longtemps.
Située sur le versant est des Monts Célestes, l'oasis de Kashgar était une des dernières étapes des caravanes, avant le point d'arrivée de Xian. Elle se situe à la croisée de plusieurs itinéraires.
La silk road traverse le désert du Taklamakan d'est en ouest ; vers le nord-est, la route remonte vers Urumshi et la Mongolie ; vers le sud-ouest, la mythique "Karakoroum way" file vers les Indes via le col de Khunjerab, tandis qu'au sud-est, une autre grimpe vers le plateau tibétain. C'est cette dernière, la G 219, que nous allons suivre pendant le mois qui vient.
Depuis les invasions turco-mongoles, le Xinjiang est musulman, mais, au début de notre ère, la rencontre de l'hellénisme et du bouddhisme avait produit ici un art original : celui de la Serinde, dont il ne subsiste malheureusement que peu de vestiges. Pour en voir davantage, il faudrait pousser plus à l'est, vers Kucha et Urumchi, et ce n'est pas notre route cette année.
La mosquée Id Kah est la plus grande de Chine. Édifiée au XV° siècle, elle se présente sous la forme d'un vaste jardin, fermé par le bâtiment dédié à la prière. Très largement ouvert sur toute la largeur de la cour, celui-ci est soutenu par une longue série de piliers de bois de couleur verte. L'accès des "infidèles" est autorisé, moyennant un droit d'entrée symbolique. Peu de monde à l'intérieur. L'atmosphère est paisible et sereine.
A l'extérieur, par contre, la présence chinoise est pesante et on ne sait ce qui le plus gênant, de ces foules de touristes han, qui se font massivement et bruyamment photographier devant la mosquée ou de ces policiers anti émeutes postés, bien visibles et lourdement armés, sur les côtés de l'esplanade.
Plus loin, sur la très vaste place du peuple, trône une grande statue de Mao. Un écran géant diffuse des images de propagande. On y voit les bienfaits de la modernisation-reconstruction de la ville, on rappelle les secours apportés aux populations lors des dernières catastrophes naturelles etc.
A l'opposé de l'écran, les dates 1955-2015 évoquent le 60ème anniversaire de la "grande modernisation du Xinjiang". Cette année-là vit en effet des milliers de volontaires, guidés par la pensée du grand timonier, se lancer dans des travaux d'irrigation et d'urbanisation du désert qui modifièrent profondément les villes et les campagnes ouïgours. Ce développement marquait aussi le début d'une sinisation qui se poursuit et s'accélère, au bénéfice matériel de la population, mais au détriment de sa culture et de son identité. Du reste, l'aspect de Kashgar est aujourd'hui avant tout celui d'une ville chinoise, avec ses larges avenues, ses quartiers modernes et ses flots de scooters électriques.
Dans la "old city", la partie conservée (ou plutôt reconstituée, après démolition et reconstruction à l'identique), est largement folklorisée et vouée au commerce touristique.
Il reste, derrière la place du peuple, quelques quartiers plus "authentiques" dans lesquels nous prenons plaisir à faire quelques emplettes et à flâner entre les échoppes d'artisans et les petits commerces, mais les bulldozers ne sont pas très loin.
D'ailleurs, dépêchons-nous, car le groupe nous attend pour partir au Tibet.