Entre 8 et 15 millions d'habitants, plus de 35 degrés le jour et jamais moins de 30 la nuit, une densité automobile qui n'a de trafic que le nom, c'est Bangkok au mois de mars.
Séjourner et circuler dans cette mégalopole en fourgon est une épreuve. Un déplacement de 5 à 10 kms peut prendre plusieurs heures et il n'est pas facile de s'y garer sans risquer l'amende ou même le sabot.
Aussi vaut-il mieux, si l'on trouve un emplacement acceptable, proche d'une station du «sky train» ou du métro, ou, mieux encore, à proximité d'un embarcadère du Chao Phraya express, s'y incruster, autant que possible avec l'autorisation et sous la surveillance bienveillante du voisinage.
Remercions d'abord les amis français et thailandais, francophones et tolosanophiles, qui nous ont accueillis, guidés et aidés quand nous en en avons eu besoin.
Merci à Thierry et Jane.
A Thierry, pour ses explications sur son travail de chercheur agronome, ses éclairages sur la vie en Thaïlande... et son vin de Bordeaux.
A Jane qui nous a trouvé un garage (oui, encore un !) et obtenu un précieux rendez-vous avec LA dame de la douane qui pouvait prolonger d'un mois le visa de Tirésias, nous évitant ainsi un aller-retour vers la frontière du Cambodge.
Merci au patron français du « Green Garden » devant lequel nous avons pu poser Tiresias, dans une impasse calme, derrière le temple Wat Sam Phraya, à peu de distance d'un embarcadère. Quel havre de fraîcheur, en fin de journée, après nos visites, à discuter en buvant de la bière, avant de goûter à une délicieuse cuisine locale... sans oublier une ratatouille inattendue mais bienvenue.
Merci à Warawut, le professeur d'université qui nous a fait visiter la prestigieuse Chulalongkorn et nous a longuement parlé de l'éducation en Thaïlande, de l'histoire de son pays, mais aussi de la France et de ses années d'études à Toulouse, dont il garde un merveilleux souvenir.
Merci enfin à Manat, sa doctorante parfaitement francophone, grâce à qui nous avons pu récupérer notre précieux embrayage. Mais ceci est une autre histoire, narrée en Thaïlande 4.
Nous connaissions déjà un peu Bangkok pour y avoir brièvement séjourné, à plusieurs reprises, entre deux avions. Aussi, prenant en compte la chaleur presque insupportable, avons-nous décidé de nous en tenir aux bords du fleuve et à la visite des principaux monuments religieux et royaux. Le quartier routard, Khao Sao, Chinatown, le marché flottant, la jungle commerçante de Chatushak etc. ne nous retiendront pas cette fois-ci.
Grâce à notre bon bivouac, nous avons pu faire la plupart des visites en utilisant le réseau fluvial de la Chao Praya. Bon marché, rapide, fiable... et, surtout, ventilé, c'est sans doute le moyen de transport le plus agréable de Bangkok. Il ne concerne malheureusement qu'une petite partie de la capitale mais convient parfaitement pour accéder aux lieux de visite les plus importants. C'est là pourtant que nous avons rencontré, parmi les employés, les seuls Thaïlandais mal embouchés, en deux mois de voyage.
Nous n'avons pas pris grand plaisir à visiter le Wat Phra Kaew et le Grand Palais, principaux monuments religieux et royaux de Bangkok, car ils étaient envahis par des flots continus de touristes chinois. Avançant en vagues vociférantes, avec ombrelles, drapeaux et banderoles, ces groupes ne s’arrêtent que pour se photographier eux-mêmes, sans un regard pour l'architecture qui les entoure et sans égard pour le malheureux qui pourrait se trouver en travers de leur chemin. Une seule technique quand on doit faire face à une telle cohorte : mettre mentalement son casque à pointe, baisser la tête pour éviter les baleines de parapluie, et foncer résolument dans le tas, en levant haut les genoux pour protéger son bas ventre, tout en prenant soin de garder toujours assez de vitesse pour ne pas s'arrêter avant d'avoir franchi le dernier rang.
La plupart des visiteurs viennent pour le "Bouddha d'émeraude" (voir Thaïlande 1), minuscule statue de jade (ou jadéite) trônant tout en haut d' un autel de 10 mètres de haut, sous un dôme à étage en forme de parasol. C'est à peine si on l'aperçoit tant elle est petite et si élevé est le plafond de l'immense boht.
Les abords extérieurs sont plus intéressants, avec de mignonnes statues de kinnaras, êtres mi-hommes et mi-oiseaux, et de Kinnaris, leur gracieuse version féminine -tête et poitrine de femme et bas du corps de cygne- qui se laissent photographier en souriant.
Mais, au Wat Phra Kaew, les fresques du Ramakhien font oublier tout le reste. Sur les quatre côtés d'un portique, elles racontent, en plusieurs séries de panneaux, des épisodes de la version thaïlandaise de l'épopée du Ramayana, de l'enlèvement de Sita à la victoire de Rama et à la mort du démon Tosakan.
La mythologie hindoue est sous-jacente dans le Bouddhisme Theravada. A titre d'exemple, les Kinnaris ci-dessus mentionnés sont des divinités hindoues, tout comme les Yakshas, figures grimaçantes de gardiens armés, aux couleurs souvent criardes, postés à la porte des sanctuaires. Les Nagas marquent souvent les entrées des temples et on voit un peu partout des statues de Garuda, la monture ailée de Vishnou. Les plus curieux auront même pu remarquer ce symbole en haut et à gauche du billet de 1000 baths, car le Phénix indien est aussi l'emblème de la famille royale thaïlandaise.
Pour l'heure, entrons donc dans la version thaï de la geste de Rama.
Peu importe la restauration un peu trop criante ; au fil des panneaux, on ne se lasse pas de suivre les acteurs de l'épopée au long d'une véritable bande dessinée mythologique. D'entrée, même si le décor situe bien la légende dans le royaume de Siam et non pas en Inde, on est fasciné par la force et la permanence du mythe, avec les soldats de l'armée des singes, et l'omniprésence de leur général, le roi (ou dieu) singe Hanuman, qui semble avoir le rôle principal. Les scènes de batailles fourmillent de détails, les paysages sont aussi vivants et impressionnants que les personnages, et chaque représentation de palais et de ville est un tableau. Quelle symbolique et extraordinaire modernité dans la représentation de Lanka, la cité du mal !
Car c'est bien d'un affrontement du Bien et du Mal qu'il s'agit. La pureté et la chasteté de Sita, la fidélité de l'allié Lackshmen, le courage et l'obstination de Rama, la force guerrière d' Hanuman permettent de l'emporter sur la bestialité, la perfidie et la traîtrise du démon Tosakan, dont les dix têtes et les dix bras symbolisent la multiplicité protéiforme du mal et du malheur.
Ouf ! Après cette leçon d'art et de mythologie, on ressort de la galerie ébloui, par une porte gardée, comme il se doit, par deux gigantesques Yakshas... et on retrouve le soleil, les ombrelles... et les touristes chinois.
Le palais royal proprement dit ne nous a pas intéressés.
Le wat Pho est moins fréquenté. C'est un vaste ensemble monastique entouré de longs et hauts murs. On y pénètre par une petite porte dans une rue étroite. A l'intérieur, une deuxième enceinte isole le boht, avec une statue d'un Bouddha-repoussant-le-démon qui renfermerait les cendres de Rama Ier, (le fondateur de la dynastie actuelle et non le héros du mythe). Les quatre grands chedis situés à proximité, chacun d'une couleur différente, contiennent les reliques de certains de ses successeurs.
Tout autour de cette enceinte intérieure, une galerie court sur quatre côtés, comme au Wat Phra Kaew. Ici, pas de peintures mais une remarquable collection de Bouddhas de plusieurs types et de diverses époques. Les touristes qui ont bûché le soir au lieu de boire des bières peuvent s'exercer à reconnaître les différentes postures du Bouddha, assis, debout, couché, marchant, prêchant, repoussant la crainte, repoussant le démon, et, bien sûr, savent aisément distinguer les styles Ayuthaya, Sukhothai et Bangkok. Les moins studieux peuvent se contenter d'admirer cet ensemble magnifique et unique.
Le clou de la visite est le Wi hahn principal et son interminable Bouddha couché, si grand, si long, si haut, si large qu'il semble comme mis en boîte dans ce temple pourtant très vaste. Est-ce lui manquer de respect de penser qu'il a l'air emballé par et pour son expédition vers le nirvana ? Les pèlerins et les curieux en font le tour, Lilliputiens admirant ce Gulliver de pierre recouvert d'or et paré de pierres précieuses, de la tête aux pieds. Enfin, presque, car les pédicures sont à l’œuvre sur cette dernière partie en restauration et la plante incrustée (paraît-il) de nacre est, pour l'instant, cachée par un rideau.
C'est impressionnant mais j'aurais aimé pouvoir regarder ce chef d’œuvre de plus loin avec un peu de recul. Le nez sur son immense dos, son énorme ventre, sa gigantesque tête et son sourire infiniment béat, on devine à peine l'élégance de la position et les proportions du corps.
Avant de revenir vers la sortie, via le pavillon des massages, on passe devant des gardiens très différents des yakshas du Wat Phra Kaew. Vêtus d'une sorte de redingote, coiffés d'un chapeau haut de forme et appuyés sur un bâton ou un sceptre, dans des poses très théâtrales, ils semblent "en costume", en représentation. D'ailleurs, certains y voient des personnages d'opéra ; d'autres penchent plutôt pour Marco Polo... Quoi qu'il en soit, l'origine chinoise de ces statues ne fait aucun doute.
Le Wat Arun, le temple de l'Aube
Le Wat Arum se trouve à Thonburi, sur la rive droite de la Chao Phraya. Pour y accéder, il faut prendre une navette fluviale depuis le "pier" de Tha Tien. Il était en cours de restauration lors de notre passage.
En débarquant de l'autre côté, on est frappé par le calme et l'aspect campagnard du quartier. Peu de voitures, des rues calmes, de petits jardins. Si nous repassons un jour par Bangkok, nous essayerons de trouver un bivouac par ici, car il est facile ensuite de gagner l'autre rive en bateau, du moins dans la journée.
C'est à Thonburi que le général Taksin, auto-proclamé roi après la chute d'Ayuthaya, décida de construire une nouvelle capitale, au bord du même fleuve, mais plus près de la mer, 100 kilomètres en aval. Le centre du pouvoir ne fut transféré sur la rive gauche que par son successeur Rama Ier.
Le Wat Arum, probable premier temple de la nouvelle capitale, servit d'abord à héberger le Bouddha d'émeraude. Son prang très élevé, visible de très loin depuis l'autre rive, entouré de quatre tourelles plus petites, le distingue nettement des autres grands édifices religieux de Bangkok. Il doit cependant son aspect actuel à des reconstructions bien postérieures puisqu'il ne fut achevé qu'à la fin du XIXème siècle. Les tessons de porcelaine incrustés qui brillent au soleil ne seraient d'ailleurs que des morceaux de vases brisés ayant servi de lest aux jonques chinoises qui venaient mouiller dans les environs à cette époque.
Malgré la trivialité de ce matériau de décoration et, surtout, malgré son nom, le Wat Arun est admirable au coucher du soleil et les meilleures places pour le photographier depuis la rive gauche sont payantes.
Deux musées très intéressants :
Le musée national :
Il ne faut pas être effrayé par le nombre de salles, de bâtiments et d'étages figurant sur le plan distribué à l'entrée. Si le musée national de Bangkok passe pour le plus important d'Asie du Sud Est, les oeuvres majeures de l'histoire de l'art thaï (111 pièces) ont été regroupées dans une seule grande salle, à laquelle il faut consacrer l'essentiel de son temps de visite.
Cette nouvelle présentation est récente ; on inauguration date de septembre 2015.
L'exposition des oeuvres est excellente et un audio-guide, proposé gratuitement, aide efficacement le visiteur.
Les pièces maîtresses sont l'énigmatique et controversée inscription sur la stèle dite du roi Ramkhamhaeng, inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO et présentée dès l'entrée, un bronze du 8ème siècle de la période Sri Vijaya , un fabuleux Vishnu à quatre bras, et bien d'autres merveilles en bronze et en or.
Si l'on n'est pas trop fatigué et rassasié de tant de merveilles, il reste à visiter, dans, les ailes sud et nord, d'autres œuvres des époques Dvaravati, Sukhothai et Ayuthaya.
Dans une vaste salle ouverte sur les côtés, sont présentés les chariots funéraires ayant servi pour les obsèques de rois et reines de l'actuelle famille régnante.
Le musée de l'histoire du Siam :
Thierry a bien fait de nous conseiller ce musée, que nous ne serions peut-être pas allés voir de nous-mêmes. S'il n'est pas exempt d'arrière plan idéologique, il mérite cependant une visite.
La présentation retrace, de salle en salle, l'histoire du pays, des temps les plus anciens à aujourd'hui.
Ce musée se veut pédagogique et défend le concept de «musée de la découverte», incitant à la curiosité par des approches variées et souvent ludiques. Les expositions allient présentations d'objets, matériel archéologique, cartes, textes, documents sonores, vidéos, jeux interactifs.
Quelques salles :
Les temps anciens : Suvarnabhumi, le pays semi-mythique de l'or, autrement dit la préhistoire, un peu idéalisée...:
Ayuthaya, la capitale de l' « Age d'or » du royaume de Siam.
Bangkok, présentée de manière assez anachronique (nationaliste ?) comme une nouvelle Ayuthaya.
La partie la plus intéressante est celle consacrée au XXème siècle, où le visiteur peut se faire sa propre opinion sur l'évolution du pays et des modes de vie : la deuxième guerre mondiale, la dictature "racialiste" d'après guerre, la mise en avant de l'identité «thaï», expliquant le remplacement de "Siam" par "Thaïland", l'impact de la guerre du Vietnam, l'occidentalisation, la mondialisation...
Nous avons quitté Bangkok le 25 mars, pensant ne plus y revenir. La suite nous prouvera le contraire (voir Thaïlande 4)