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NB : Un lieu peut être un site naturel, une ville, un quartier, un musée, un bar...
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(Départ de Grèce, Istanbul, Gordion, Ankara, Hattusha, Erzinçan, Erzurum, Dogubeyazit)
La dernière gorgée de bière
(Billet du 17 mai 2015) :Nous voici prêts à passer la frontière iranienne. Si tout va bien, demain soir, nous dormirons en Perse.
5000 kilomètres parcourus depuis Toulouse : ils ont filé bien vite, à tous les sens du terme.
Les quatre jours merveilleux passés à Tyros, dans le Péloponnèse, ne sont déjà plus qu'un souvenir. Et pourtant, nous serions bien restés là, finalement, dans ce petit village perché, si paisible. Qu'allons-nous chercher à l'autre bout du monde, sur des routes impitoyables, dans des pays à la bureaucratie impossible, aux douaniers soupçonneux et aux pandores imprévisibles ?
Malgré la crise, Tyros est l'endroit où l'on peut être le plus heureux au monde, mais, puisque nous l'avons décidé, alors, partons.
Istanbul même, la ville aimée, ne nous a pas retenu plus de deux jours. Le temps d'un bref pélerinage à Sainte Sophie et à l'Hippodrome, d'une montée en haut du parc Gulhane pour suivre, sans jamais se lasser, le trafic incessant sur le Bosphore, puis d'une descente à Eminönü pour engloutir un délicieux filet de maquereau entre deux tranches de pain, mal assis sur des tabourets bas en plastique, au milieu de la foule qui se presse vers les navettes de la rive asiatique .
Le temps aussi, d'essuyer un refus de demande de visa de transit au consulat du Turkmenistan qui l'accordait encore aux voyageurs il y a un mois. Un avant goût amer des imprévus bureaucratiques qui nous attendent.
Istanbul est peut-être la plus belle ville du monde, mais, cette année, nous sommes attendus à Bazargan. Alors, partons.
Nous avons donc traversé l'Anatolie en sixième vitesse, sur d'excellentes routes à quatre voies (gratuites !) et n'avons fait que de brèves étapes en des lieux que nous ne connaissions pas encore.
1. Gordion (sur la route entre Istanbul et Ankara) :
S'il ne reste pas grand chose de la capitale phrygienne où Alexandre montra la voie qu'Alexis pourrait suivre aujourd'hui, la visite du site n'en est pas moins intéressante. La petite route qui conduit au village de Yassihüyük zigzague entre des dizaines de tumulus qui sont autant de tombes antiques. La moitié de ces sites ont été fouillés et le plus grand d'entre eux a été baptisé, comme de juste, "tombeau de Midas". Il n'avait pas été pillé et on y a trouvé un abondant matériel archéologique dont une partie est exposée dans le musée local, modeste mais agréable à parcourir en une petite heure. On peut ensuite accéder à la citadelle d'où l'on aperçoit les premiers méandres du fleuve Sangarios (aujourd'hui Sakarya), dont le cours a changé plusieurs fois au cours des siècles. Difficile d'imaginer que ce petit ru qui serpente laborieusement dans la plaine fut jadis un des tumultueux fils d'Eole, qu'Hésiode met sur le même plan que le Nil et l'Euphrate. Est-ce bien sur ces rives que se situe la légende de Sangaris, celle du secret des oreilles de Midas, est-ce vraiment ici qu'Achille combattit et vainquit l'amazone Penthésilée ? On peine à le croire.
Ce qui est plus sûr, c'est que, dans les environs, eut lieu la bataille de la Sakarya, qui, en 1922, vit la défaite de l'armée grecque devant les troupes d'Ataturk, point de départ de la "Grande catastrophe" et début de la fin de la millénaire présence grecque en Asie Mineure.
Verdict : Peine de mort pour les nouveau stratèges des Arginuses qui avaient surestimé leurs forces, et ostracisme assorti, bien sûr, d' un bonnet d'âne de circonstance pour Constantin le médiocre.
2. Ankara :
C'est une drôle de ville qu'Ankara. Ataturk a voulu faire de l'ancienne petite bourgade lainière, plus centrale, moins ottomane qu'Istanbul et moins grecque que Constantinople, la capitale de la Turquie moderne et laïque dont il avait la vision.
Il a réussi, puisque la vieille Angora de 30.000 âmes (chèvres et moutons non compris) compte aujourd'hui près de 10 millions d'habitants. Évidemment, toute capitale qu'elle est aujourd'hui, Ankara ne peut rivaliser ni avec Istanbul ni avec Constantinople. Les vestiges archéologiques de l'Ancyre antique, où Saint Paul écrivit son épître aux Galates, sont maigres, et les références historiques rares.
Le visiteur y cherche en vain ce qu'on pourrait appeler une ville. Des quartiers différents courent sur les différentes collines et on ne peut y accéder autrement qu'en voiture ou en dolmush, par des voies rapides.
On peut néanmoins se poser dans deux quartiers plus "centraux" : celui de Cankaya, où l'on trouve les commerces modernes, des rues commerçantes à l'occidentale, les ambassades, et celui, plus populaire, qui entoure la citadelle. C'est là que nous avons élu domicile, à deux pas de notre objectif principal : Le musée archéologique des civilisations anatoliennes. Ce musée est un des plus intéressants du monde. Il est situé au pied de la vieille ville, dans un ancien caravansérail restauré. Il abrite des collections qui vont du néolithique à la période classique mais le clou de la visite, c'est la période hittite. Nulle part ailleurs on ne peut en voir et en apprendre autant sur cette civilisation qui a dominé l'Asie mineure pendant une grande partie du deuxième millénaire et est restée longtemps méconnue des chercheurs et oubliée des archéologues.
Après une visite aussi enrichissante, il ne nous reste plus qu'à nous rendre à Hattusha, l'ancienne capitale du royaume.
3. Hattusha :
4. Erzincan : Nous n'avions pas prévu de faire étape dans la Erznka arménienne mais nous y avons été surpris par la tombée de la nuit. Nous sommes déjà bien à l'est, et si la journée semble plus courte, c'est que nous n'avons pas changé d'heure depuis Istanbul...
La ville a été entièrement reconstruite après le tremblement de terre de 1939 et n'offre en elle-même aucun attrait mais elle se trouve au centre d'un cirque de hautes montagnes (encore enneigées en mai) qui la cernent complètement. De la terrasse de l'hôtel Konak où nous prenons un copieux petit déjeuner, le panorama, magnifique, s'étend sur 360 degrés.
En réalité, cette plaine centrale est une faille sismique dans laquelle coule l'Euphrate, en route vers l'encore lointaine Mésopotamie. Venant d'Ankara, on l'atteint après avoir franchi plusieurs cols à plus de 2000 mètres.
Erznka-Erzincan devrait être un lieu de mémoire, et le sera peut-être un jour, si la Turquie accepte enfin de regarder son passé en face. Ici eurent lieu des massacres qui comptent parmi les plus épouvantables du génocide de 1915. La communauté arménienne qui était largement majoritaire dans la ville et la région, fut totalement exterminée. Ceux qui ne furent pas égorgés tout de suite sur les rives du fleuve, trouvèrent une mort plus cruelle encore dans les convois de déportation.
La ville est aujourd'hui peuplée uniquement de Kurdes et de Turcs.
5. Erzurum : Depuis Erzincan, nous avons roulé sans interruption jusqu'à Erzurum, où nous ne sommes par restés.
L'atmosphère a changé. Nous sommes maintenant au Kurdistan.
A Erzurum, ville de 300.000 habitants, on ne trouve aucun endroit où se poser vraiment. Une seule rue centrale, pas de café, aucune boutique, presque aucune femme dehors et nous nous demandons encore où les auteurs du Lonely Planet ont pu se procurer les substances qui leur ont fait décrire Erzurum comme "une ville conservatrice mais que la jeunesse estudiantine rend parfois trépidante". Peut-être au centre commercial, qui trône au milieu du carrefour principal (enseigne... "Carrefour"). Là, passée l'entrée (et le portique de contrôle) une fabuleuse caverne d'Ali Baba, effectivement "trépidante", toute occidentale, abrite Mac Do, King Burger, et toute une flopée de boutiques de fringues - mi branchées, mi cheap-, de parfums, de maroquinerie, de téléphonie, et de tout le fourbi commercial qu'on pourrait trouver chez nous.
Nous sommes samedi et toute la ville semble s'y être donné rendez-vous, à se régaler de hamburgers-frites, à bader devant les magasins et à faire jouer les gosses sur des manèges tristes, au son de musiques anglo-saxonnes de bas niveau (musical, pas sonore...).
A croire que, dans une ville aussi religieuse et conservatrice, la vraie vie n'existe, hélas ! que dans une galerie marchande.
6. Dogubeyazit - Vers la frontière :
Après une fin de parcours pénible sur des routes abîmées et encore plusieurs cols d'altitude, nous découvrons un centre ville à la rue principale défoncée, et des rues adjacentes en piteux état. Nous voici dans le Far East.
Nous montons vers le mausolée d'Ishak Pacha et trouvons à nous loger sur une aire de pique nique appelée ici "camping", bien qu'il n'y ait ni tente, ni caravane, ni camping car, mais seulement de petits carbets (charmants). Nous nous trouvons au pied du mont Ararat, versant ouest, mais la vue est moins spectaculaire que celle dont nous avons joui l'année dernière depuis Erevan, en Arménie. En outre, il fait plutôt gris, passablement frisquet, et la neige n'est pas loin. On nous propose des excursions dans la montagne mais avons déjà la tête à l'Iran. Nous passons la journée à préparer des itinéraires sur le GPS, à recenser nos médicaments, à compter nos devises, à vérifier tous les documents indispensables pour passer la douane.
Lucile fait ses derniers essayages de foulard islamique, et moi, dans la vaste salle du restaurant Istasyon, véritable havre connecté, je tape frénétiquement ces quelques notes en buvant ma dernière gorgée de bière avant la prohibition iranienne.