Note du 1er septembre 2014
Gyumri et alentours
Nous sommes entrés en Arménie par le poste frontière de Zhdanovakani/Bavra, c'est-à-dire que nous avons découvert le pays par sa face Nord-Ouest. Les formalités de police et de douane ont été longues du côté arménien et nous n'avons atteint Gyumri qu'à la tombée de la nuit, après environ 50 kms de ce que nous avons pris d'abord pour une mauvaise route. Nous apprendrons par la suite qu'il aurait plutôt fallu ranger ce premier tronçon asphalté dans la catégorie "passable". Il est vrai que notre amortisseur endommagé n'arrange rien, question confort (voir bientôt la rubrique "Pépites et pépins")
Gyumri :
Gyumri nous a plu tout de suite. Le camion facilement garé sur la place centrale, nous parcourons avec plaisir un centre ville animé. La nuit est douce, les voitures roulent à une vitesse normale, sans faire bêtement hurler leur moteur ni crisser leurs pneus sans raison, et les conducteurs s'arrêtent devant les passages cloutés pour laisser traverser les piétons. Voilà qui nous change agréablement du far-west géorgien. Il y a même une vraie rue piétonne bordée de cafés restaurants avec terrasses. Un peu plus tard, nous trouverons un bivouac très acceptable près d'un petit square tranquille.
C'est le lendemain que nous réaliserons dans quel état se trouve véritablement la deuxième ville du pays, dévastée par le tremblement de terre de 1988, et toujours pas entièrement relevée, loin de là. Gyumri étant dépourvu d'office du tourisme, nous nous rendons à l'hôtel de ville et rencontrons, un peu par hasard, Armen, employé d'une association d'aide à la reconstruction, qui organise précisément des "walking tours" pour réunir quelques fonds.
C'est sous sa conduite que nous avons parcouru la vieille ville. Bien nous en a pris car il faut un œil exercé ou un bon guide pour découvrir ce qui reste de l'ancienne Alexandrapol (du nom de l'épouse du tsar Nicolas Ier) : de belles façades, en pierre volcanique de la région d'Artik, des balcons, des cours intérieures, des statues de poètes, mais tout cela dans un ensemble ruiniforme, le long de larges rues pavées aujourd'hui pratiquement désertes, ou de parcs à peine entretenus. Si la cathédrale (Sourp Asdvadzadzine) et Saint-Sauveur (Amenaperkich), les deux principaux édifices religieux, ont été restaurés ou même entièrement reconstruits à l'identique, la plupart des immeubles historiques sont toujours en attente de travaux. Certains, à demi-effondrés ou complètement lézardés semblent même promis à la démolition pure et simple. Après une catastrophe, on peut comprendre que priorité soit donnée au relogement des habitants et au rétablissement des infrastructures, mais un quart de siècle, c'est long. D'autant que, même en ce domaine essentiel, tout ne semble pas avoir été fait. Armen était âgé de quatre mois le 7 décembre 1988. Il a aujourd'hui presque vingt-six ans et nous confie qu'il habite toujours dans un container aménagé, qu'il partage avec sa mère. Du provisoire qui dure...
La solidarité s'est pourtant manifestée très tôt après le séisme, en particulier dans la diaspora. La municipalité reconnaissante a même érigé une statue à la gloire de Charles Aznavour, qui a beaucoup payé de sa personne pour aider les sinistrés. La statue du chanteur trône au milieu de la "place" (plutôt un rond-point) qui porte son nom. On ne peut s'empêcher de sourire devant ses proportions gigantesques mais sans doute le monument célèbre-t-il la hauteur de l’œuvre entreprise plutôt que la taille réelle du bienfaiteur.
Les alentours de Gyumri :
Les villages des alentours ne se portent guère mieux que la "capitale du nord". Accès par des routes très abimées ou rapetassées à la va-vite, maisons abandonnées, édifices délabrés. Vues de loin, certaines zones d'habitation prennent parfois l'aspect d'un habitat troglodyte, avec leurs ouvertures béantes sans portes ni fenêtres et on se demande, à la vue d'un édifice en ruine, s'il était encore debout en 1988 ou s'il s'agit d'une ruine "historique". Les deux peuvent d'ailleurs se conjuguer. Ainsi, penchée au dessus de l'église d'Artik effondrée, on peut voir une grande grue complètement rouillée qui n'a manifestement pas bougé ni servi depuis des décennies. Restauration interrompue par le séisme ?
Dans la campagne, le paysage est austère. En roulant vers le sud, on traverse la plaine du Shiraz, qui est en réalité un plateau aux molles ondulations, dominé à l'Est par les quatre pointes du mont Aragatz (que Pouchkine confondit avec l'Ararat !).
La couleur dominante est le jaune car les moissons ont déjà été faites et, entre pierraille et poussière, n'affleure qu' une tignasse de chaume rase. C'est presque plat, mais nous sommes à plus de 1500 mètres. S'il fait très chaud au mois d'août, les hivers doivent être rudes dans cette région surnommée parfois la Sibérie du Caucase !
Deux premiers monastères :
Dans ces étendues désolées (pardon pour le cliché), le petit vallon de Marmachen prend des allures d'oasis saharienne (bis). On y descend par une mauvaise piste pour parvenir à un monastère du XIème siècle, niché dans la verdure, au bord de la rivière Akhourian, qui a creusé une entaille assez profonde sur le plateau. Sur place, nous ne trouvons pas de moine mais un simple gardien qui nous ouvre les portes de l'église principale. Celle-ci présente les caractéristiques canoniques de l'école d'Ani (l'ancienne capitale du royaume d'Arménie), que nous retrouverons souvent par la suite : un édifice en croix grecque, inscrit dans un carré et coiffé d'une coupole ornée de fines colonnes et pourvue d'un toit pyramidal, en forme d'ombrelle. Les façades sont décorées d'arcatures. Il se dégage de l'ensemble une impression d'harmonie qui rappelle la Grèce antique : la perfection dans la simplicité.
Plus au sud, à l'Est d'Artik, nous finissons par trouver Haritchavank. Non sans mal : Tiresias devra s'habituer à l'absence de signalisation et aux routes qui deviennent progressivement des champs de trous bordés d'un peu de goudron, puis des pistes, puis des chemins de traverse, puis...plus rien.
Le monastère, situé tout au bout du village du même nom, se trouve sur une large esplanade, au bord d'une dépression creusée par un torrent dont le lit, à sec en été, sert de sentier pour le bétail... et les visiteurs. Le site est magnifique. De l'autre côté de la faille, le plateau est exploité pour sa roche volcanique qui sert, depuis des siècles, de matériau pour la construction des édifices arméniens. La pierre est débitée et taillée sur place, en tranches, dans des sites à ciel ouvert. La carrière la plus proche de nous a ainsi tout a fait l'air d'un stade antique, avec ses gradins bien découpés et sa piste tout en longueur. Le monastère, très vaste, bien restauré, est en bon état. Seul le réfectoire est encore en cours d'aménagement. Comme à Gyumri, et comme dans la plupart des ensembles conventuels que nous visiterons par la suite, l'église principale, dédiée à la vierge, est nommée Sourp Asdvadzadzine (Sainte Mère de Dieu). Datant du XIIIème, elle présente, à l'extérieur, des influences diverses, comme son fronton, de style très oriental. Elle est, en réalité, composée de deux parties. On entre d'abord dans un immense "jamatoun", très vaste salle évoquant un narthex mais beaucoup plus grande que l'église elle-même, dont le plafond à stalactites s'ouvre très haut sur la coupole. Cette ouverture donne un peu de lumière à un intérieur très sombre et assez froid.
Selon le rite de l'église apostolique arménienne, le chœur n'est pas fermé par une iconostase, comme dans les sanctuaires orthodoxes, mais par un épais rideau rouge, coulissant le long d'une tringle. L'autel étant en outre situé sur une haute estrade en pierre, accessible par la droite ou par la gauche par deux volées de marches, on dirait la grande scène d'un petit théâtre.
En contrebas de l'esplanade, dans la gorge, une minuscule chapelle est perchée sur un amoncellement de rochers qui rappelle les cheminées de Cappadoce. Siméon le Stylite aurait pu s' y installer.