Note du 24 août 2014
Djavakhétie : les Géorgiques
Au sud de Tbilissi, en direction cette fois de l'Arménie, à une altitude de 2000 mètres, s'étend un haut plateau. Après la bucolique plaine kakhétienne, voici la Djavakhétie, qui nous fait entrer dans... les Géorgiques !
Passé Manglisi, Tiresias traverse d'immenses étendues herbeuses dans lesquelles les paysans manient la faux et la fourche avec des gestes qui n'ont pas dû beaucoup changer depuis l'hommage que leur a rendu Virgile. Les cultures sont rares. A l'exception de quelques champs de pommes de terre, le plateau semble entièrement voué à l'élevage. C'est la saison des foins et la campagne est peuplée de loin en loin de petites silhouettes humaines à pied ou à cheval. Le relief est peu accidenté. A perte de vue, les meules de foins aux formes arrondies, toutes faites à la main, parsèment le paysage, et les lignes d'herbe coupée structurent la campagne comme une toile de paysagiste. Sur 100 kilomètres, nous ne verrons aucun engin mécanique, sans doute parce que le terrain ne s'y prête pas, mais peut-être aussi parce que cette province ne fait pas partie des priorités de l'état. Peuplée presque exclusivement d'Arméniens, peu fertile et sans grand attrait touristique, elle reste à l'écart du reste de la Géorgie et accuse un certain retard de développement.
Certes, la route qui la traverse est bonne. Mais, refaite à neuf, elle a visiblement pour fonction de relier Tbilissi à la Turquie par une voie plus directe que celle de la mer Noire. Tout au long du trajet, nous remarquons d'ailleurs d'importants travaux de rénovation sur ce qui semble être l'ancienne voie ferrée. Sans savoir exactement de quoi il retourne, nous voyons bien qu'il s'agit là aussi de la construction d'une liaison rapide est-ouest qui n'a que faire de la desserte de la région.
De part et d'autre de ces deux axes modernes, la vie rurale semble ne pas avoir changé depuis...
Depuis quand, au fait ?
La route est fréquemment coupée ou encombrée par des troupeaux. Énormes, ces troupeaux. Des moutons, mais surtout des vaches. Des dizaines, voire des centaines de têtes à chaque fois, encadrées par de nombreux bergers qui les ramènent au bercail, sans chiens, mais parfois avec monture. Il ne manque à ces cavaliers que le revolver et le lasso et on pourrait se croire dans un western de John Ford. L'image semble donc hors du temps, géorgique, comme celle des faucheurs, ou rio-grandesque, comme celle des cow-boys. Mais cette organisation villageoise manifestement collective doit peut-être beaucoup au modèle plus récent de l'époque soviétique. D'Est est en Ouest, plusieurs lacs se succèdent et nous appellent à rejoindre leurs rives. Malheureusement, leur accès n'est pas aisé. Peu de pistes y conduisent et les villages qui les bordent, aux rues sableuses et défoncées entre des maisons éparses et sans caractère, ont l'attrait d'un kolkhoze des années 30. ...
Nous trouverons un endroit pour y faire une pause, mais rien pour bivouaquer. Nous redescendons donc sur le versant ouest le soir même. Avec regrets car nous aurions bien aimé passer au moins une nuit dans ces paysages dont la rusticité nous a séduit. Certes la vie ne doit pas y être facile et loin de nous l'idée de reprendre naïvement l'antienne virgilienne :"0 fortunatos nimium agricolas...", mais nous savons déjà que ce bref parcours sur le haut plateau djavakhétien restera à coup sûr un de nos plus beaux souvenirs de Géorgie....
Plus bas, sans nous attarder à Ninosminda, ni à Akhalkhali, nous remontons un peu au nord, en direction de la Meskhétie
Un petit tour en Meskhétie :
Avant d'entrer en Meskétie, on passe par Akhaltsike, la capitale de la Djavakhétie. On y visite la citadelle de Rabati, qui nous a paru quelconque et, de toutes façons, trop restaurée pour susciter la moindre émotion. A l'intérieur, le prétendu "musée d'histoire" est aussi peu pédagogique que possible. Présentation désordonnée d'un ensemble hétéroclite, priorité au "sensationnel", jeux de lumières, atmosphère vaguement ésotérique. Tout ce qu'on n'aime pas....
On suit ensuite les gorges de la Koura jusqu'à Bordjomi, ville thermale autrefois très fréquentée par les Russes et aujourd'hui un peu en déshérence. Nous avons apprécié ses ombrages mais nous avons préféré monter jusqu'à Bakouriani, qui fut longtemps la seule station de ski de Géorgie. A 1800 mètres d'altitude, dans un paysage alpin, nous avons retrouvé la fraîcheur qui nous manquait depuis que nous avons quitté le Haut Caucase.
Après une halte de deux jours au pied d'un remonte pente sans skieurs, nous redescendons vers le sud, fins prêts pour affronter la fournaise que l'on nous promet en Arménie....
Mais nous gagnons d'abord la cité troglodyte de Vardzia. ...
Vardzia :
A l'entrée de la vallée de Vardzia, on trouve d'abord Khertvissi, une impressionnante citadelle très bien conservée qui est passée de mains en mains au cours des siècles au gré des victoires des uns et des défaites des autres. On dit qu'Alexandre serait passé par là. Je n'y crois guère, pas plus qu'à la tradition qui situe les "portes de fer" dans la gorge du Darial, mais rien n'empêche d'y rêver....
La cité troglodyte :
La capitale de la mythique reine Tamar, fondée au XIIème siècle, à la fois citadelle garde-frontière et centre monastique et culturel, a subi le même sort que tous les hauts lieux de l'histoire géorgienne: séismes, guerres, pillages et destructions ont causé sa ruine. Il reste aujourd'hui, dans un site superbe, tout un ensemble d'habitations, creusées dans la falaise, sur plusieurs étages, reliées par un réseau de galeries souterraines et de passages plus ou moins secrets. Au centre, l'église de l'Assomption, troglodyte aussi mais pourvue d'une avancée en pierre maçonnée, contient de belles fresques, dont la célèbre représentation du "roi" Tamar habillé en homme....
Nous avions installé Tiresias sur l'autre rive de la rivière, exactement en face de ce haut lieu du tourisme géorgien, que nous avons eu pour nous tous seuls au coucher du soleil, sous les étoiles et au petit déjeuner. Magnifique bivouac. ...
Et maintenant, en route pour l'Arménie !